SOLILOQUE EN 415
résumé
Dans Soliloque en 415, une femme, chanteuse, actrice, mannequin - une sorte d’icône à la blondeur anachronique - entre en scène et salue son public. Elle se lance dans l’exercice du récital de chant lyrique. Et puis tout d’un coup, c’est l’abysse. Comment continuer?
“Le gouffre entre ce que tu es pour les autres et ce que tu es pour toi-même”, dira-t-elle, en reprenant les mots d’un des personnages d’un film de Bergman.
Alors que le concert a déjà commencé, le public devient le témoin des interruptions de l’infini soliloque de cette femme, qui déjoue les codes conventionnels du récital, en nous invitant, avec ironie, à découvrir la vitrine des images que l'on projette sur elle et son art du drapé. On pénètre progressivement dans les plis invisibles du salon musical de son âme. L’actrice joue, chante et se transforme comme une enfant. Dans son rire, elle laisse entrevoir l’éclat des morts.
équipe
jeu Laura Malvarosa
mise en scène Lynda Mebtouche
écriture Laura Malvarosa, Lynda Mebtouche
regard extérieur Katie Mazzini
scénographie Elsa Stroom
création lumière Eduardo Jiménez Cavieres
production Collectif GRAND CANAL
durée 1h
note d'intention
La définition dit : « le diapason c’est la hauteur nominale du son qui sert de référence pour l’accord des voix et des instruments ». Cette hauteur a varié au fil du temps en fonction de l’évolution des instruments. Depuis 1953, la hauteur du “la”, note de référence, est fixée à 440 Hertz. Au 17e et 18e siècle, elle était admise à 415 Hz, c’est-à-dire un demi ton plus grave.
En continuant à chercher dans les arcanes de ce langage, on se rend compte que le terme baroque vient du portugais barroco, qui désigne « des perles aux formes étonnantes ou imparfaites ». L'intention première de cette création c’est peut-être ça : tenter de mettre en scène l’invisible d’un récital en voguant sur les ondulations du baroque qui laisse place à l’imperfection, aux capotages, pour s’éloigner de la voix trop sûre d’elle et triomphante.
Pascal Quignard dit : « les femmes meurent et persistent dans le soprano. Leur voix est un règne. Leur voix est un soleil qui ne meurt pas. » Mais, qu’est-ce qui se passe quand on sent que notre voix ne nous est pas vraiment fidèle ? Et que notre corps ne l’est pas vraiment non plus? L’actrice sent qu’il y a en elle cette nécessité de faire descendre sa voix vers le cœur, pour lui redonner la vigueur de son rouge, pour qu’elle contamine toute la vitalité de son corps. Et puis, il y a aussi la nécessité de faire remonter les graves qui ne sortent pas ou plus, qui s’affairent à rester cachés, comme des enfants apeurés sous la nappe d’une table d’un repas de famille désagréable.
Dans cette pièce, théâtre et chant s’enchevêtrent. Nous partons de la situation d’un récital lyrique et nous mêlons des chants de répertoires et de langues différentes, à un jeu scénique qui déconstruit les rigidités formelles, en les poussant à l’extrême. En même temps, nous nous inspirons de textes de films, de poésies, de romans et d’essais que nous avons pillés de part et d'autre, pour les faire renaître sous une autre forme. Nous cherchons à restaurer le doute, à céder la parole aux silences et aux intermezzos, en déconstruisant le caractère cérémonial du récital lyrique, d’un tournage de pub ou d’un shooting photos, où le visage semble figé à jamais dans la perfection d’un rictus.
En s’inspirant de scènes de Bergman, Truffaut, Fellini, Almodovar, l’actrice remonte la piste de son angoisse qui la paralyse et se souvient de son enfance: une sorte d’île où elle n’avait qu’à se dissoudre dans le désir des autres. Adulte, elle continue à penser qu'il n'y a que l'autre qui peut la dévoiler à elle-même et elle s’efforce, chaque fois un peu plus, à devenir l’image d’une image de l’image que les gens ont quand ils la voient. Dès lors, il y a un jeu autour de la fonction symbolique du spectateur, qui incarne tour à tour, l'œil du photographe, celui de la caméra et du psychanalyste. Qui manie l’image tient l’humain à sa merci, dit-on, car elle interroge, en contrepoint, l’insaisissable.
Avec cette création il y a donc une volonté de confronter directement la question de la représentation dans ses multiples formes : une subversion du vrai par le faux avec les espaces, les cadrages et les formes de jeux scéniques. “On ne verra jamais une société être gouvernée sans les chants et la musique, sans les chorégraphies et les rites, sans les grands monuments religieux ou poétiques de la Solitude Humaine”, dit Pierre Legendre. Comme dans le tableau “Lunette” de Magritte, dans l’interstice, derrière les images, il y a le gouffre ; derrière l’écran, il y a le Rien, le vide de l’existence humaine. Alors pour ne pas disparaître dans cette matrice, on met en scène le vide, les origines, entre tragique et comique. Dans Soliloque en 415, on joue avec les images, avec le miroir, avec l’écran qui permet de s’auto-mettre en scène, sortes de boucliers contre la nuit humaine que l’on doit habiter.