MALADIE DE LA
JEUNESSE
04/10 • 14h
Une résidence étudiante. Quatre jeunes filles et trois garçons un peu plus âgés, pour la plupart étudiant.es en médecine. Entre les murs de la chambre de Marie, toutes et tous se confrontent à la vacuité morale et spirituelle d’une époque qui semble le miroir de beaucoup d’autres. Certain.es sont étouffé.es par un désarroi profond et mélancolique, d’autres plein.es encore de désirs pour l’avenir. Mais les trahisons, bientôt, renversent les croyances. Et la joute verbale à laquelle cette jeunesse se livre est alors magistrale. Elle les mènera à ce qui pourrait être l’origine de la violence : ce besoin universel et monstrueux de domination, qui ronge insidieusement les rapports entre les êtres, jusqu’au point de non-retour.
note d'intention
olivier hamelin
C’est une génération perdue. Une de plus. Voilà peut-être ce qu’ils diront, eux, les analystes, dans vingt ans, dans trente ans. Voilà ce qu’ils diront de nous. Voilà les mots qui d’ailleurs résonnent déjà dans nos rues vides, dans nos salles de spectacle abandonnées. Génération perdue... Le terme est fameux. Galvaudé, peut-être, mais au combien criant d’actualité depuis le début de cette crise du COVID, là, tout juste un siècle après son emploi premier par Gertrude Stein, tout juste un siècle après l’écriture de Maladie de la jeunesse, ce chef-d’oeuvre de l’auteur autrichien Ferdinand Bruckner, qui résonne aujourd’hui avec une puissance étonnante.
Quels mots choisir, dans l’urgence abrutissante de l’actualité, face à ce désarroi, à cette perte de repères et de sens ressentie par toute une génération ? Comment être juste sans le recul de l’histoire ? Nous voulions jouer. Vite. Quoi qu’il en coûte. Où que ce soit. Tenir la barre malgré l’accumulation d’entraves. Ne pas attendre qu’on nous tende la main. Raconter des histoires, encore et encore. Alors, tandis que je m’interrogeais avec les comédien·nes de ma compagnie sur le cap à tenir, le texte de Bruckner m’est revenu en mémoire. Comme une nécessité. Voilà plusieurs années déjà que je songeais à monter Maladie de la jeunesse, tant le texte est un défi extraordinaire, tant le propos est moderne et la partition jouissive pour une troupe de jeunes acteur·rices. Mais le temps, me semblait-il, n’était pas le bon. Or il
m’apparaît évident à présent que cette histoire intemporelle, peu montée en France, doit aujourd’hui plus que jamais être racontée.
Sans sombrer dans le catastrophisme, il faut entendre tout de même la violence de ce qui est en train de se jouer : c’est une paralysie brutale et cruelle du désir ! Chaque grande crise majeure laisse dans son sillage une jeunesse fracassée, incapable de se convaincre qu’elle a sa place, incapable de trouver ce sens qui partout et toujours fait défaut.
« Il faut prendre conscience ! » écrit Bruckner. Dans Maladie de la jeunesse, l’auteur visionnaire des Criminels et des Races décrit une jeunesse fracassée dans l’après-guerre des années 1920, en Autriche. Notre situation est bien évidemment incomparable à celle-ci, mais force est de reconnaître que le COVID a déjà sacrifié la sienne : l’impact psychologique sur la jeunesse depuis quelques mois est désastreux, et si les souffrances ne sont et ne seront jamais comparables, le texte de Bruckner leur donne un écho remarquable.
Mais plongeons à présent dans le texte. Les thèmes abordés sont aussi modernes que denses : violence des rapports de domination et de soumission, désuétude des valeurs morales, caractère éternel des mélancolies, importance de l’expérimentation de la vie face aux études théoriques, interrogation sur la place de la science dans la société, sur l’origine des douleurs mentales et physiques, renversement nietzschéen des valeurs... Le propos est de
haute volée, et la langue est directe et sans emphase. Dans une joute verbale magistrale, les protagonistes de la pièce de Bruckner, à la fois maestros du verbe et victimes de leurs pulsions, de leur inexpérience, se livrent aux trahisons les plus folles, aux déchirement des âmes, sans cesser pourtant d’être drôles. Car tout est là : aussi puissant et violent que puisse être le désespoir, le rire et l’auto-dérision, toujours, ouvrent la porte au sens. Et c’est là le défi que nous impose cette pièce : représenter la violence, sans cesser de faire rire, sans négliger la lumière.
Une phrase de Bruckner, enfin, s’il fallait n’en citer qu’une pour étayer tout cela :
« Une jeunesse éveillée qui n’a pas trouvé sa place est en danger de mort latent», écrit-il avec une lucidité déconcertante. Notre place à nous, je crois, est plus que jamais sur scène. Dès maintenant. Sans plus attendre. Aussi bien dans les espaces publics que privés. C’est pourquoi j’ai monté cette pièce en poussant les acteur·rices dans une recherche clinique et musclée du sens, afin que nous puissions jouer aussi bien dans un appartement, ancré·es dans le temps présent, que sur un vaste plateau intemporel ; un travail acharné sur l’écoute, la pensée et le sens, oui, pour approcher une forme de liberté qui partout fait défaut, et peut-être, espérons-le, donner un éclairage à la crise actuelle.
la compagnie
à bout de souffle
À bout de souffle comme l’évocation d’un rythme, celui d’une respiration emportée, effrénée, folle mais fragile, aussi. En d’autres termes : un vertige.
« J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. » Tout est là. Fixer des vertiges. Toute l’essence de l’écriture et du théâtre est dans ce paradoxe exprimé par Rimbaud, dans cette impossibilité vers laquelle il faudrait tendre et que je tente de faire nôtre.
À bout de souffle, c’est aussi pour nous un certain endroit où le corps et l’esprit cessent de lutter. L’endroit possible du vertige, donc, et du lâcher prise. « Il ne faut pas comprendre, mon bon monsieur, il faut perdre connaissance. » écrivait Claudel, lui si attaché au souffle. Lui dont le travail sur le rythme et la respiration touchait au sublime. À bout de souffle, oui, comme un état permanent d’abnégation. Comme une nécessité de rester vivant en s’accrochant à l’instable, à l’impalpable.
Mais À bout de souffle, c’est aussi l’endroit où notre respect pour cet héritage théâtral si grandiose, si fou, rencontre nos aspirations iconoclastes. C’est l’endroit exact de nos remises en question. De nos bouleversements. Le berceau de notre insatiable travail de recherche. Et puis, enfin, c’est une référence à ce film culte de Godard, qui restera l’emblème du renouveau d’un certain art, entraînant inévitablement la mort d’un autre.
Il nous fallait un moyen de jeter tout notre corps, toute notre âme dans la pratique de notre art, le théâtre, en restant à la limite, toujours, du vertige : nous nous sommes créé une famille.
J’ai monté la compagnie À bout de souffle il y a trois ans, au terme de mes études théâtrales. Après une première création déambulatoire en 2020 intitulée Variation sur le souvenir (prix du meilleur spectacle, du meilleur auteur, mais aussi deux prix de meilleur.e acteur.ice au festival Les Automnales, qui couronne les Travaux de Fin d’Etude des Cours Florent), j’ai ensuite porté à la scène un texte de Ferdinand Bruckner intitulé Maladie de la jeunesse.
Depuis le début de mes recherches théâtrales, je me suis attelé à sortir le théâtre des plateaux classiques et à faire résonner des textes dans des lieux atypiques, afin de proposer aux spectateurs une expérience singulière et immersive. Nous avons donc joué Maladie de la jeunesse en 2022 dans des lofts, une chapelle, une boîte de nuit, mais aussi dans un corps de ferme du Loiret devenu le Théâtre de l’Escabeau, et enfin dans les salons de réception de la Cité Internationale Universitaire de Paris.
Aujourd’hui, outre une tournée de Maladie de la jeunesse dans les Universités parisiennes et bordelaises, ainsi que plusieurs projets d'écriture, je travaille donc pour inscrire ma compagnie sur le territoire girondin et développer désormais certains de mes projets sur cette terre qui me tient à coeur et qui m’a vu grandir.